La place des énergies marines dans notre ambition énergétique
- Tristan Foveau
- 14 mars 2022
- 5 min de lecture
Il est parfois bon de rappeler des évidences : les conséquences directes et dramatiques du réchauffement climatique sur nos vies, décrites par les rapports successifs et alarmants du GIEC, appellent une sortie rapide de l’inaction climatique et des énergies fossiles.
Cet objectif de sortie semble aujourd’hui largement partagé – plus ou moins sincèrement – par l’ensemble du spectre politique. La guerre en Ukraine et les sanctions économiques européennes ont au demeurant jeté une lumière crue sur notre dépendance collective aux importations d’énergie, en particulier de gaz russe. Rarement la question de la souveraineté énergétique n’aura aussi clairement mise en relief.
Toutefois, si l’objectif de sortie des fossiles rassemble, le chemin de cette sortie suscite lui réactions et options divergentes.
Dans cette optique, la place des énergies renouvelables (EnR) dans le mix énergétique est sujette à discussions. L’ambition d’Anne Hidalgo à ce sujet est claire : « 100% d’énergies renouvelables aussi rapidement que possible ».
Ce choix implique de miser sur les EnR afin d’assurer notre indépendance énergétique et donc d’assurer leur forte montée en puissance en concentrant sur elles l’essentiel de nos efforts d’investissements énergétiques.
Néanmoins, il semble raisonnablement difficile d’envisager de se passer du nucléaire à court terme. Dans cet esprit, la durée de fonctionnement des réacteurs actuels, sous le contrôle du parlement, doit être définie par l’Autorité de sûreté nucléaire. Energie de transition, c’est sous cet angle technique que l’horizon atteignable de sortie du nucléaire doit être envisagé.
C’est donc d’une stratégie énergétique diversifiée et d’un rééquilibrage de la production électrique dont nous avons besoin, le tout appuyé sur un bouquet de filières peu carbonées qui permettent une valorisation des ressources locales. Dans cette perspective, les énergies marines doivent occuper une place prépondérante. Aujourd’hui les EMR représentent à peine 1% du mix énergétique mondial, mais c’est une filière qui connaît un taux de croissance autour des 80% par an et dont le chiffre d’affaires a doublé en quelques années. L’ONU évalue le potentiel théorique global des EMR à 2 millions de Terawatt/heure par an. C’est conséquent.
Car la France a les moyens de tenir un rôle de 1er plan : nous sommes le 2e domaine maritime mondial derrière les États-Unis, nous avons les capacités en termes de recherche et de développement, les capacités industrielles, les infrastructures portuaires, des entreprises innovantes, etc.
Mais malgré ces atouts, nous ne sommes pas en avance ! La compétitivité de la filière française s’améliore mais il est possible d’aller plus loin. La question du coût de l’énergie se pose – mais la tendance est à la baisse – celle du coût du soutien à ces nouvelles filières également, mais on ne peut occulter dans l’analyse la valeur ajoutée générée sur le territoire, le potentiel d’emplois, les phases d’ingénierie et de développement, les phases d’opération et maintenance, le contenu local industriel, etc.
Sur le sujet, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été trop timorée, avec un objectif de 5 à 6 GW de nouvelles capacités à horizon 2028, là où les Pays-Bas prévoient la mise en service de 22 GW d’ici 2030, l’Allemagne 30 GW, le Royaume-Uni 40 GW… Il est tout à fait possible de rehausser nos ambitions et de combler notre retard.
Comment ?
Il y a d’abord un enjeu d’ambition et d’organisation étatique.
Quand l’État se fixe des ambitions, il faut que l’intendance suive : cela signifie qu’il faut mettre la transition écologique au bon niveau d’ambition, cela signifie plus de moyens aux ministères, à l’ADEME.
Cela appelle, plus généralement, une planification précise, notamment foncière, pilotée par l’État et qui associe les acteurs du monde maritime. Et là aussi nos voisins européens peuvent être une source d’inspiration, eux qui ont des espaces maritimes plus contraints que les nôtres, plus restreints, mais qui compensent avec une planification plus fine.
Et cette planification nous permettrait sans doute de revoir la façon dont sont conçus aujourd’hui nos appels d’offres : les risques pour un projet sont étudiés seulement après que le périmètre du parc éolien ait été défini et après la consultation du public. Cela ralentit considérablement les procédures. Les parcs commencent à sortir de l’eau après 10 ans. Au Danemark, 6 à 7 ans sont nécessaires pour sortir un projet.
Si, dans le cadre d’une planification précise, les études de levée des risques étaient réalisées en amont, cela permettrait aux porteurs de projet d’affiner leurs propositions et de tenir compte de toutes les variables : le vent, la houle, la profondeur, les sols, la faune, la flore...
Cette planification doit aussi nous permettre de réfléchir aux questions d’acceptabilité et de consultation du public : les modalités actuelles sont-elles satisfaisantes ? Ne faudrait-il pas envisager de mutualiser les débats sur plusieurs projets, avec des horizons de temps plus lointains ? Cela présenterait l’avantage de donner de la visibilité aux industriels, aux acteurs de la mer et au public lui-même.
Plus généralement, si la PPE actuelle doit naturellement être exécutée, il faudra au-delà de son exécution prévoir des volumes plus importants, plus réguliers, planifiés, définis par technologie, pour donner de la régularité aux industries.
Il y a ensuite un enjeu de réindustrialisation, d’emploi, de formation.
Aujourd’hui, la filière compte 4800 emplois répartis autour de 4 grands pôles industriels : Cherbourg (fabrication de pales), Le Havre (pales, nacelles et génératrices), Montoir-de-Bretagne (assemblage de nacelles et de génératrices), Saint Nazaire (sous-stations électriques). Et autour de tout cela, toute une chaîne d’activités de sous-traitance.
Mais on doit encore densifier cette filière et c’est une ambition qui s’inscrit dans un projet de réindustrialisation plus large. Au lieu de saupoudrer les investissements, Anne Hidalgo propose de les concentrer sur « quatre grandes odyssées » industrielles, dont l’énergie, en s’appuyant fortement sur les régions.
En matière de formation, un seul exemple concret des difficultés qui attendent la filière : aujourd’hui, une centaine de techniciens de maintenance sont formés chaque année spécifiquement pour les systèmes éoliens, alors que la demande va s’élever rapidement à 200 personnes par an avec l’arrivée des parcs. Le seul parc de Saint-Brieuc aura besoin de 80 agents de maintenance. Afin de satisfaire la demande en techniciens spécialisés dans l’éolien en mer, des cursus de formation supplémentaires seront bientôt lancés en Bretagne. Le premier doit préparer les futurs agents chargés de la maintenance des parties basses des éoliennes : nettoyage des jackets, contrôle des systèmes de navigation, des soudures et anodes sacrificielles. Le second, plus long, formera les techniciens appelés à entretenir pales et nacelles.
Et enfin, il y a un enjeu de recherche.
Il faut pouvoir relancer l’effort de recherche et développement. L’objectif que se fixe Anne Hidalgo, c’est un effort qui atteindra 3 % du PIB à la fin du quinquennat. Et dans cet effort, la recherche en matière énergétique trouve naturellement sa place, pour étudier les règles de coexistence entre les infrastructures de l’éolien en mer et certains usages de la mer, pour étudier le couplage de production d’hydrogène avec l’éolien offshore, etc.
コメント