top of page

Loi 4D : les espoirs déçus du « pacte girondin » entre État et collectivités

  • Photo du rédacteur: Tristan Foveau
    Tristan Foveau
  • 25 juin 2021
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 juil. 2021

Par


Tristan Foveau

Vice-président de Brest métropole et conseiller municipal de Brest


et


Arnaud Platel

Conseiller communautaire de Quimper Bretagne Occidentale et conseiller municipal de Plomelin


Le mercredi 12 mai dernier, le projet de loi « 4D » [1] a été présenté en conseil des ministres. Censé traduire dans notre droit la vision territoriale d’Emmanuel Macron et décliner son « pacte girondin » promis aux collectivités locales, son contenu est une déception.


En effet, au regard des ambitions initiales, le constat d’échec est cinglant : lors de la conférence nationale des territoires en juillet 2017 comme à l’occasion de son discours de Quimper en juin 2018, le président de la République avait appelé de ses vœux à « repenser en profondeur l’interaction entre l’État et les collectivités » afin de redonner « aux territoires les moyens d’agir dans une responsabilité partagée ».


Une révision de la Constitution devait initialement « faciliter ces évolutions et libérer les énergies » en instaurant notamment un « droit à la différenciation ». Inscrit dans un projet de loi constitutionnelle de mai 2018, ce nouveau droit devait autoriser les collectivités territoriales à déroger aux règles nationales lorsque leurs réalités locales l’exigent, ouvrant ainsi la voie à une reconnaissance par l’Etat d’espaces de vie différenciés sur le territoire national. Pourtant, ce texte n’était pas sans interroger sur l’intention réelle du législateur : une publication du think tank L’Hétairie de novembre 2018 [2] notait que cet assouplissement ressemblait davantage à une indulgence concédée par l’État qu’à un véritable droit à la différenciation.


Après un retrait de la réforme constitutionnelle en août 2019, l’article 1er du projet de loi 4D livre désormais une définition simpliste de la différenciation (« les règles relatives à l’attribution des compétences et à leur exercice applicables à une catégorie des collectivités territoriales peuvent être différenciées dans le respect du principe d’égalité »). De plus, il lui offre un champ d’action minimal comme la fixation du nombre d’élus au conseil d’administration des centres communaux et intercommunaux d’action sociale ou la facturation de redevance d’occupation pour travaux. Enfin, le projet avait pour ambition de clarifier les compétences des collectivités et d’ajouter de la souplesse dans leur exercice : les 83 articles du projet sont malheureusement un fourre-tout d’exigences d’associations d’élus et de réformes non abouties du quinquennat.


Cet inventaire de mesures techniques ne repensera en rien l’interaction entre l’État et les collectivités territoriales, préalable à une réconciliation entre les citoyens et leur administration. Les enjeux sont pourtant loin d’être négligeables. D’abord, plus qu’un progrès technique, l’approfondissement de la décentralisation est une avancée politique qui répond à la méfiance croissante des citoyens envers la démocratie et à leur demande de proximité de l’action publique. Or, qui mieux que les territoires et leurs représentants pour connaître les préoccupations spécifiques de leurs habitants ? Ensuite, plus qu’un calcul politicien, la décentralisation est une question d’efficacité. La crise sanitaire a donné à voir les défauts de la rigidité administrative de notre pays. Or, qui mieux que les territoires pour connaître les carences locales en matière de soins et les besoins des entreprises ?


Le texte du gouvernement ne répond à aucune de ces considérations. Pire : en prétendant remédier à ce « mal français » qu’est le mille-feuille territorial, il donne à ce dernier un arrière-goût de crumble [3], entre émiettement de mesures sans vision globale et amoncellement de compétences. Bien loin d’un « pacte girondin » digne de ce nom qui, pour être pleinement ambitieux, aurait d’abord dû faire l’objet d’une réforme de notre Constitution.


A ce titre, la publication de L’Hétairie de novembre 2018 [4] préconisait de modifier l’article 72 de la Constitution afin de donner sa pleine effectivité au principe de subsidiarité – les collectivités territoriales ayant seulement « vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon » dans le texte actuel (alinéa 2) – et de reconnaître à ces mêmes collectivités une plus grande marge de manœuvre dans le cadre du dispositif d’expérimentation – aujourd’hui limité dans sa durée et dans son objet (alinéa 4).


Toutefois, puisque le pouvoir exécutif n’a pas jugé pertinent de modifier notre loi fondamentale pour amorcer ce changement, il revient aux parlementaires qui examineront le projet de loi 4D à partir de juillet prochain d’être à la hauteur des enjeux. Par exemple, au-delà du simple rôle accordé à la région en matière de « coordination et d’animation de l’économie circulaire » et d’ « organisateur de la transition énergétique au plan local », celle-ci pourrait se voir transférer une compétence pleine et entière en matière de politique énergétique.


De même, concernant la santé, il convient de ne pas se contenter de « renforcer le rôle des élus locaux dans la gouvernance des agences régionales de santé » (ARS). Alors que la crise sanitaire a mis en lumière les rigidités administratives de l’Etat sur ce sujet, une vraie décentralisation de la politique sanitaire est nécessaire. A ce propos, en lien avec les départements compétents sur l’action sociale, les régions pourraient se voir confier le pilotage des orientations des ARS [5].


Enfin, il est temps d’organiser la véritable autonomie financière des collectivités territoriales. Prévue par l’article 72-2 de la Constitution, elle n’est effectivement assurée que par le seul prisme de la « compensation financière » – exprimée ainsi par le projet de loi 4D – et à un degré encore largement insuffisant au regard des difficultés actuelles de ces collectivités. Sans cette autonomie, et alors que la suppression progressive de la taxe d’habitation et la baisse de la dotation globale de fonctionnement accordée aux collectivités grèvent le budget de celles-ci, tout transfert de compétences sera vain.


Repenser les liens entre l’Etat et les collectivités nécessite donc un plan plus ambitieux. Il en va du rétablissement de la confiance entre ces deux échelles mais aussi entre les citoyens et leurs responsables politiques, tant il est reproché à ceux-ci d’être éloignés des réalités de terrain.

[1] Pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification. [2] Droit à la différenciation : quelles réalités derrière les slogans ?, L’Hétairie, Note n°26, 20 novembre 2018.

[3] Pour reprendre le mot de Pierre Januel, dans la revue Dalloz : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/dalloz-actualite-publie-texte-de-l-avant-projet-de-loi-4d#.YKPeLy2FA1I [4] Droit à la différenciation : quelles réalités derrière les slogans ?, op. cit. [5] Comme cela avait pu être suggéré par Jean-Jacques Urvoas en mai 2020 : https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/point-de-vue-coronavirus-regionaliser-la-sante-6825422

1 Comment


lastro
Jul 28, 2021

« leur demande de proximité de l’action publique. »

Est-ce pour incarner cette proximité que tous les vices présidents du Conseil Départemental du Finistère avaient une voiture avec chauffeur ?

Et plutôt qu’une proximité de l’action publique je préfèrerais une EFFICACITÉ! Mais les élus en sont-ils capables ? Quand on voit leurs actions depuis le début de la pandémie, on peut en douter !

Like
bottom of page